L'abandon n'est pas une solution à la crise du Sahel

Dans un communiqué commun publié le 28 janvier, le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont annoncé leur décision de se retirer de la CEDEAO, un bloc régional créé pour favoriser l’intégration de ses membres. Ce retrait reflète un changement stratégique de la part des trois États sahéliens, qui prennent leur distance vis-à-vis d’anciens alliés. Il fait aussi suite à la demande du gouvernement malien du retrait de la MINUSMA, force de maintien de la paix des Nations Unies dans le pays (processus finalisé en décembre), et de l’opération Barkhane, les anciennes forces françaises dans le pays. La France, ancienne puissance coloniale, a également vu son attaché de défense expulsé du Burkina Faso et son ambassade fermée au Niger.

Alors que les trois pays se rapprochent de la Russie, à la lumière du nouveau contexte politique ainsi que de la guerre en Ukraine, plusieurs gouvernements occidentaux, dont la Suède, ont décidé de suspendre leur aide au développement. Cependant, pour les communautés les plus touchées, l’abandon n’est pas une solution à cette crise.

Un bateau Pinasse échoué dans le delta intérieur du Niger près de Konna, au Mali. Photo : Ousmane Makaveli Traore/International Alert : Ousmane Makaveli Traore/International Alert.

La situation sécuritaire dans les trois pays reste préoccupante. Les groupes d’insurgés extrémistes ne montrent aucun signe d’apaisement malgré des années d’efforts militaires internationaux considérables pour les éliminer. Le nombre de victimes du conflit a augmenté en 2023, des milliers de civils ont été déplacés, de nombreux services essentiels sont encore inexistants et la crise humanitaire ne cesse de s’aggraver.

Dans des espaces où une grande majorité de la population dépend de l’agriculture et de l’élevage pour subvenir aux besoins de sa famille, l’imprévisibilité et l’aggravation des conditions météorologiques liées au changement climatique ainsi que les restrictions des groupes extrémistes violents exacerbent également la pauvreté, force les migrations nationales et internationales et sont à l’origine de nombreux conflits locaux, parfois intercommunautaires et intracommunautaires.

Dans ce contexte, les conséquences d’un abandon peuvent être sévères.

Le Sahel a une population incroyablement jeune, avec 65% de personnes âgées de moins de 25 ans. La situation sécuritaire précaire, le peu d’opportunités économiques ainsi qu’un sentiment de marginalisation et d’être privé de leurs droits les rend vulnérables aux groupes armés ou les oblige à emprunter des routes d’émigration dangereuses. Le Burkina Faso et le Mali figurent désormais parmi les principaux pays d’origine des migrants déplacés de force qui arrivent en Europe par la mer.

Le conflit au Sahel ne se limite pas non plus aux frontières nationales. Selon plusieurs études, il affecte déjà directement les pays côtiers. Les insurrections djihadistes opèrent principalement dans les zones frontalières et les liens historiques, ethniques et culturels entraine une porosité de frontières qui limitent la division classique souvent entendue entre Sahel/pays côtiers. Les États côtiers d’Afrique de l’Ouest stratégiquement importants, notamment le Togo, le Benin, le Ghana et la Côte d’Ivoire, ne sont pas à l’abri des retombées.

L’inaction pourrait permettre à ces problèmes de s’aggraver, mettant en péril la stabilité régionale et créant un environnement propice à l’instabilité politique et sociale.

Malgré ce contexte difficile, les approches de consolidation de la paix au niveau local peuvent atténuer ces facteurs de conflit et favoriser des résultats plus pacifiques. Il existe toute une série de solutions locales pour améliorer la résilience climatique, notamment des pratiques agricoles durables et une gestion inclusive des ressources naturelles. Les jeunes peuvent bénéficier d’une formation au leadership et à la résolution des conflits, ce qui permet de canaliser leur énergie et leurs idées vers des solutions pacifiques.

Les interventions d’International Alert au Mali, par exemple, ont favorisé la participation inclusive des femmes et des jeunes aux mécanismes de prévention des conflits et aux processus décisionnels liés à la gouvernance des ressources naturelles. Dans certaines zones d’interventions d’Alert, les femmes représentent désormais 21% des membres des commissions foncières et 30% des participants aux sessions de renforcement des capacités relatives au code foncier rural. Les jeunes, eux, représentent désormais 37 % et 23 % respectivement. Auparavant, aucune femme n’était impliquée et les jeunes étaient largement exclus. Cette participation inclusive a permis aux groupes marginalisés de s’engager dans la gestion pacifique des ressources naturelles.

Les femmes activement impliquées dans les processus de paix ont obtenu des résultats que leurs homologues masculins et les médiateurs certifiés n’ont pas pu obtenir, notamment en jouant un rôle essentiel dans la libération du personnel de santé détenu par les groupes armés.

La participation et l’intervention des femmes auprès des autorités traditionnelles dans le processus de médiation se sont avérées cruciales pour résoudre les conflits entre les membres de la communauté.

Pour les anciens, l’impact visible de la participation des femmes à la résolution des conflits et à l’obtention de gains tangibles est un témoignage puissant de l’efficacité de l’inclusion. Il remet en question les idées préconçues et favorise une meilleure compréhension des contributions précieuses que les femmes peuvent apporter.

Tout effort de consolidation de la paix réussi reposera sur un investissement soutenu dans des programmes de renforcement des capacités pour les groupes dirigés par des femmes, les chefs indigènes et les organisations de la société civile, afin de soutenir la paix et la stabilité au niveau de la base.

La médiation, le dialogue et l’organisation communautaire inclusive peuvent maintenir un engagement en faveur de la bonne gouvernance qui contribuera à un éventuel retour à un ordre constitutionnel démocratique.

Soutenir ces efforts peut sembler risqué pour les organisations internationales, mais l’engagement auprès des communautés locales ne doit pas être perçu comme une légitimation des acteurs anticonstitutionnels. S’attaquer de manière proactive aux causes profondes des conflits peut contribuer à prévenir l’escalade, à soutenir les mesures préventives et à ralentir la propagation de l’instabilité régionale et mondiale.

Le contexte politique rend les efforts de consolidation de la paix plus difficiles mais aussi plus nécessaires. Les canaux traditionnels reposent souvent sur la coopération intergouvernementale, que nous avons vu se désintégrer ces derniers mois, suite aux sanctions et au retrait de la CEDEAO, au départ des forces de maintien de la paix et à l’expulsion de diplomates. Mais les populations concernées n’ont pas la possibilité de se désengager. En tant que bâtisseurs de paix, nous sommes en mesure de travailler directement avec les communautés et d’aider à préparer le retour éventuel d’un ordre pacifique et constitutionnel.

Le Sahel se trouve à la croisée des chemins, et à Alert, notre engagement en faveur d’une issue pacifique est inébranlable. En s’attaquant aux causes profondes, en soutenant les initiatives locales et en s’engageant auprès des communautés locales, nous pouvons contribuer à la stabilité, à la prospérité et à une paix durable. Il est de notre responsabilité commune d’assurer un avenir meilleur à la région et à ses habitants.


Mise à jour 27/03/2024: La récente suspension des accords militaires entre le Niger et les États-Unis fait peser des risques supplémentaires sur la gestion de la sécurité au Niger et au Sahel. Un nouveau retrait de l’engagement et du financement américains pourrait avoir de graves conséquences sur le bien-être et les conditions de vie des communautés déjà soumises aux sanctions. Les familles sont désormais confrontées à une vulnérabilité chronique, augmentant le niveau de criminalité et le mécontentement des jeunes de Niamey et de ses environs.