Pourquoi la COVID-19 est un appel à l'action pour l'égalité des genres et la paix

Ce blog a été écrit par Elizabeth Laruni et Gabriel Nuckhir de l’équipe Genre d’International Alert.

A woman stands silhouetted in a doorway,looking outside
Une femme se tient dans l’embrasure de la porte au Tadjikistan © Aziz Satorri / International Alert

La pandémie COVID-19 a un impact considérable sur notre santé, nos économies et nos sociétés, notamment en ce qui concerne le genre.

La violence basée sur le genre (VBG) est depuis longtemps la plus grande menace pour la sécurité des femmes et d’autres groupes vulnérables dans le monde, en particulier dans les zones touchées par des conflits. La COVID-19 n’a fait qu’aggraver la situation, avec une augmentation considérable des cas de violence liés au sexe signalés dans le monde entier, ce qui lui a valu d’être qualifiée de « pandémie fantôme ».

La COVID-19 menace simultanément les efforts déployés pour remédier aux inégalités structurelles plus larges entre les sexes et promouvoir la paix – cibles clés des objectifs de développement durable et de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies sur les femmes, la paix et la sécurité, qui célèbre cette année son 20ème anniversaire.

D’une part, les mesures de verrouillage visant à répondre à la COVID-19 ont un impact majeur sur les moyens de subsistance et les revenus des femmes. Le « secteur informel », dans lequel les femmes représentent une proportion importante des travailleurs, est le plus vulnérable, les gens dépendant souvent de leurs revenus quotidiens et n’ayant pas ou peu d’économies pour acheter des denrées alimentaires de plus en plus coûteuses. Lorsque les sources de revenus diminuent, l’insécurité alimentaire – qui va de pair avec le déplacement et les turbulences sociales – devient rapidement une préoccupation majeure. Les femmes et les enfants seront touchés de manière disproportionnée, tant en termes de sécurité alimentaire que de sécurité personnelle.

Les pressions économiques des ménages sont aggravées par le fait que les femmes et les filles effectuent les trois-quarts du travail de soins non rémunéré, le confinement ne faisant qu’ajouter à leurs responsabilités en matière de soins aux enfants et aux parents malades.

Les pressions économiques vont également jouer sur les normes sexospécifiques néfastes. La description des femmes comme étant douces, faibles et sans défense (ayant besoin de protection) est utilisée pour justifier et soutenir les idéaux de masculinité qui positionnent les hommes comme de puissants protecteurs, prêts à recourir à la violence si nécessaire pour protéger les leurs. Pourtant, dans des moments de crise comme celui-ci, la pression sociétale pour protéger et subvenir aux besoins de la famille est de plus en plus difficile pour les hommes, et la frustration et la violence peuvent souvent être dirigées vers l’intérieur du foyer.

Ces exigences accrues à l’égard des femmes et le doublement des normes traditionnelles en matière de genre, combinés à l’augmentation de la violence liée au sexe, affecteront la capacité des femmes à diriger, convoquer et participer aux efforts de réconciliation ou de consolidation de la paix en cours dans leurs communautés. Faire taire leurs voix dans un espace qui leur est déjà difficile d’accès est un jeu dangereux à un moment où les tensions mondiales augmentent au lieu de diminuer.

Dans les sociétés où les femmes jouent un rôle important en tant que médiatrices ou sont impliquées dans la résolution des conflits et des différends, de telles exigences réduiront leur capacité future à jouer un rôle dans la promotion de la paix et de la stabilité.

Alors que des législations d’urgence de plus en plus restrictives ont été introduites dans le monde entier, nous avons également vu des exemples inquiétants d’érosion des droits des femmes en matière de reproduction sexuelle. Cela a un impact disproportionné sur les femmes et les autres groupes marginalisés, tels que ceux qui ont une identité de genre non binaire, et ceux qui vivent dans la pauvreté et dans des contextes de conflit et des contextes humanitaires.

Toutes ces conséquences indiquent qu’il est nécessaire de prendre des mesures à court et à long terme pour éviter d’exacerber les inégalités entre les sexes et de compromettre la paix.

L’expérience des virus Ebola et Zika montre que si l’on ne s’attaque pas aux inégalités structurelles entre les sexes dans le cadre de la réponse à la crise, ces inégalités s’aggraveront encore : les femmes seront encore plus susceptibles de connaître des privations sociales et économiques, et auront un accès encore plus limité aux ressources. En République démocratique du Congo, par exemple, les femmes représentaient 60 % des personnes infectées par le virus Ebola.

Si l’égalité des sexes est aujourd’hui défendue au niveau mondial, sur le terrain, dans les situations d’urgence, elle est souvent mise à mal dans la pratique. Des recherches menées par International Alert et Oxfam au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ont montré que les organisations de défense des droits des femmes dans les conflits se sont vu dire à plusieurs reprises que « ce n’est pas le moment » de faire progresser l’égalité des sexes et ont été poussées à travailler sur la réponse à la crise. Un rapport que nous avons produit autour du tremblement de terre de 2015 au Népal, intitulé « Reconstruire en mieux ou restaurer les inégalités », a souligné que de telles approches des catastrophes enracinent souvent les inégalités.

Les leçons tirées de ces expériences passées sur la manière de donner la priorité aux dimensions de genre de la crise doivent éclairer la réponse mondialisée actuelle à la COVID-19.

Avant tout, l’égalité des sexes doit faire partie intégrante de la réponse globale. Cela signifie qu’il faut comprendre comment l’identité de genre interagit avec d’autres facteurs pour avoir un impact sur les expériences de la crise et les vulnérabilités des individus. Cela permet de surmonter le risque que les plus vulnérables soient mis à l’écart de la réponse et de se prémunir contre l’exacerbation des dynamiques de genre existantes qui peuvent conduire à un conflit. Pour entreprendre et appliquer efficacement une telle analyse, il est important que les équipes d’intervention soient équilibrées entre les sexes, y compris au niveau de la direction.

Deuxièmement, les voix des femmes en première ligne de la réponse, telles que celles des travailleurs sociaux et de santé, doivent être incluses dans la planification de la réponse aux catastrophes, ainsi que dans le rétablissement après la catastrophe. Nous devons également garantir la participation significative des femmes et des autres groupes vulnérables aux initiatives d’intervention de COVID-19, afin d’éviter de creuser davantage les inégalités et de contribuer à reconstruire des sociétés meilleures et plus pacifiques. Car nos actions d’aujourd’hui vont façonner ce qui va suivre la crise.

Troisièmement, nous devons faire face à l’ombre de la pandémie de VBG liée à la COVID-19. Là où il existe des refuges, des lignes d’assistance téléphonique et d’autres services de soutien, ils doivent être désignés comme des services essentiels. Les crises ont également pour effet de détourner l’attention et les ressources de la police de la violence liée au sexe. Les forces de l’ordre doivent être sensibilisées à cette question dans le contexte de la COVID-19 et à la sensibilité du traitement des renvois. Le sentiment d’injustice, en termes d’échec de l’État à prévenir puis à traiter la violence liée au sexe, ne fera qu’éloigner davantage les gens de leur gouvernement dans des sociétés où la confiance est déjà faible.

En outre, nous devons veiller à ce que l’aide d’urgence COVID-19 et tout plan de relance qui en découle tiennent compte des besoins des femmes et des groupes vulnérables, et soient conçus de manière à ne pas exacerber la dynamique des conflits. En attendant, nous devons nous assurer que nous soutenons ceux qui fournissent des soins non rémunérés qui permettent aux communautés de continuer à fonctionner, étant donné que la dégradation des réseaux de soutien dans les foyers et dans la communauté au sens large peut être un précurseur d’une instabilité sociale plus large.

Par-dessus tout, il est nécessaire de redoubler de soutien aux activistes, réseaux et organisations de femmes locales dans des contextes fragiles, afin qu’elles puissent continuer à jouer un rôle dans la construction de la paix. Ces réseaux sont le pivot de la promotion du mouvement plus large en faveur de l’égalité des sexes, y compris le programme « Les femmes, la paix et la sécurité ». Ils ont une expertise particulière et une compréhension nuancée de leurs contextes, mais ils ont besoin d’un financement fiable et flexible pour faire face aux conséquences uniques des femmes et des filles dans cette pandémie. La réaffectation des fonds et l’augmentation de la demande de soutien pourraient autrement empêcher les organisations de femmes de répondre à la violence liée au sexe tout en continuant à travailler sur l’inégalité structurelle.

Il y a six mois seulement, le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a déclaré au Conseil de sécurité que « le changement se produit à un rythme trop lent pour les femmes et les filles dont la vie en dépend et pour l’efficacité de nos efforts pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales ».

Dans le cadre de sa réponse à la COVID-19, les dirigeants mondiaux et la société civile doivent relancer leur engagement en faveur de l’Agenda pour les femmes, la paix et la sécurité et, plus largement, de l’égalité des sexes. Ce faisant, les interventions peuvent mieux répondre à l’impact de la pandémie sur les femmes et les autres groupes vulnérables tout en évitant d’aggraver les inégalités qui contribuent aux sociétés inégales et aux conflits violents.